jeudi 15 avril 2010

"Un bel accident"

Le Kiwi a rencontré Mélanie Valera, unique membre de Tender Forever lors de son passage avec Les Femmes s'en mêlent à Bordeaux. On retiendra sa performance à Tatry, la meilleure de la soirée, devant un public complètement conquis par son humour, sa décontraction et bien évidemment sa musique. A noter aussi que la jeune femme met tellement à l'aise ses interlocuteurs, que l'on remarque après quelques minutes d'interview que l'on est passé du vouvoiement au tutoiement sans vraiment s'en rendre compte.

(En étroite collaboration avec l'équipe du tea-zine)

Vous êtes de Bordeaux, ça vous fait quoi de jouer ici?

Ça fait toujours plaisir parce que c'est là que j'ai commencé et il y a toujours des amis qui viennent. Et c'est tellement rare quand t'es entourée, d'avoir des amis, des gens qu'on connait. Souvent on connait personne. Donc ça, ça fait plaisir et voilà, je suis contente, j'espère qu'il va y avoir du monde et que ça va bien se passer et que tout le monde va s'amuser.

Que pensez-vous de la scène culturelle à Bordeaux?

Après avoir été dans pas mal d'endroits en France, je pense que c'est l'un des rares endroits intéressants. Je pense que si je devais être forcée d'habiter en France, j'habiterais à Bordeaux parce qu'on est pas loin de Paris, on est pas loin de la mer, et moi j'aime bien la mer! Et en plus c'est super, super beau. La culture à Bordeaux elle est vraiment géniale, y'a plein plein plein plein de choses (!!!) même s'il n'y a pas assez de salles je trouve, y'en a pas assez pour le nombre de choses qui s'y passent, malheureusement. Donc ça j'espère que ça va se rétablir vite fait, parce qu'on m'a dit que plein de salles avaient fermé ces deux dernières années. C'est dommage, ça fait mal au coeur. Mais j'entends toujours parler de nouvelles choses, je suis très bonne copine avec Martial de Total Heaven (disquaire indépendant de Bordeaux, ndlr) donc il me raconte toujours toutes les nouvelles choses, tous les nouveaux groupes et j'espère que ça continuera parce que c'est pas le cas dans toutes les autres villes en France (y compris Clermont. ndlr).

Comment est-ce que vous vous organisez pour enregistrer un album? Vous utilisez surtout votre macbook?

Sur celui-là, j'ai utilisé deux ordinateurs, mais on a aussi loué du matériel, enfin y'avait plein plein de choses. On s'est pas trop organisés parce que j'avais enregistré mon album en studio, mais j'ai tout perdu et donc j'ai du tout réenregistrer avec les moyens du bord. Mais on s'est pas trop organisés du coup, je m'asseyais, j'écrivais un morceau, on co-arrangeait, on co-produisait, on mixait tout en même temps... On avait à peu près 20 jours pour tout faire, c'était vraiment du sport mais c'était aussi vraiment chouette, c'était un bel accident.

Vous prenez donc ça comme un mal pour un bien?

Je pense que c'est... parfait!

Pourquoi ne pas chanter en français?

Parce que je pense que la langue française est trop belle pour moi. Il y a tellement de mots qui sont très difficiles à manipuler, j'écoute beaucoup Dominique A, j'adore Matthieu Boogaerts, ils s'en servent tellement bien. J'ai l'impression que si on chante en français, soit on fait de la poésie, soit on fait du hip hop, soit on fait de l'électro putassier. Après c'est de l'ordre de mon ressenti, de ma culture, c'est toujours par rapport à ce que j'ai écouté, par exemple Serge Gainsbourg quand j'étais petite et c'était la seule chose. Le reste... Et en plus je pense que j'ai une facilité pour l'anglais, c'est une culture qui m'a toujours attirée. Mine de rien, ça fait 5 ans que je suis partie, je m'y sens bien dans cette langue, je pense que ça fait partie de moi.

D'ailleurs, pourquoi être partie aux Etats-Unis ?

Parce que la France me faisait profondément chier. Même si je l'aime pour plein plein plein d'autres choses, j'ai besoin de danger, j'ai besoin de gens qui me challengent, et ici je trouve pas de nanas qui soient plus grandes gueules que moi, et si y'en a, c'est trop rare. J'ai besoin d'être entourée de gens qui ont la niaque et qui ont envie de faire plein de choses dans l'art, dans la musique. Et là-bas c'est beaucoup plus important. Y'a tellement de filles qui font des choses, c'est inconcevable. Et de revenir ici c'est presque un choc. Mais c'est vraiment dommage, et j'espère que moi, et d'autres gens inspireront d'autres nanas pour faire plein de choses. On a vraiment besoin de se bouger, il y a de la place pour faire tellement de choses! J'aimerais bien aussi que les gens ne fassent pas de l'enfermement dans le statut d'intermittent, c'est précaire et ça n'incite pas au challenge et à l'initiative. Mais, ça c'est mon point de vue!

Vous trouvez pas ça un peu dommage qu'on ait besoin de faire des festivals comme LFSM pour justement mettre les femmes en valeur?

Je trouve ça tellement dommage et en même temps tellement important. C'est ça le problème, on n'a pas ça ici, ou bien très peu. Une nana à Nantes avait organisé 2 ou 3 choses, il y a quand même des gens qui essaient de se bouger, des assos comme Wonderground, et des groupes que j'aime beaucoup aussi. Je trouve pas ça dommage, je pense que c'est essentiel. Mais je regrette que ça s'appelle Les femmes s'en mêlent peut-être. Moi ça fait bien longtemps que je m'en mêle et je pense que c'est le cas de pas mal de monde ce soir, par exemple Jessie Evans, qui était dans The Vanishing. Je l'avais vue il y a 10 ans et ça m'avait juste soufflée. Et MEN, voilà c'est Le Tigre, c'est plein de gens qui m'ont inspirée et je pense que je suis pas la seule à être inspirée par ces choses là. Mais ça fait longtemps qu'elles s'en mêlent et je pense que c'est surtout les mecs qui ont jamais trop suivi en fait! Donc c'est bien, je salue l'effort. Et d'ailleurs les personnes qui s'occupent du festival c'est aussi mon agence de booking, donc je leur dis souvent « Ouais, Les femmes s'en mêlent, super, mais bon CA FAIT LONGTEMPS QUAND MEME! ». Et en même temps, le festival existe depuis 13 ans donc ça dénote quand même d'un hermétisme à ça, parce que vraiment, 13 ans, c'est long! Treize ans d'un festival qui s'appelle Les femmes s'en mêlent, et ça grossit de plus en plus. Peut-être que dans 20 ans, ce sera magique! Les femmes sortiront de leur trou avec plein de choses incroyables, en tout cas dans le milieu de la musique. Ouais, ce serait pas mal!

Enregistrement/Tournée. Vous préférez quoi?

Je pense que c'est deux choses vraiment séparées. En l'occurrence ce serait pour moi une fois que les morceaux sont finis, une fois que j'arrive à les comprendre et à les aimer. Une fois qu'ils sont devenus miens. Avant que je les donne. Ça c'est une partie vraiment très excitante. Et puis la scène... Je pense que les artistes qui écrivent des morceaux et qui les jouent jamais c'est juste des sacs à pain, c'est dommage parce que c'est la meilleure partie! C'est le moment où il se passe vraiment un truc!

Vous pensez avoir évolué au fil des albums?

Complètement. Au début c'était un peu au hasard. Je pensais pas faire ça, vraiment. Et puis je composais pas mal. Finalement on a sélectionné quelques morceaux, alors que j'en avais genre 45-50. Le deuxième album je savais que je continuais, que je faisais de la musique. J'étais en tournée tout le temps, donc j'enregistrais un peu partout où j'étais, dans les chambres d'hôtel etc... avec les moyens du bord mais je le faisais un petit peu mieux donc c'est vrai que ça sonne un petit peu mieux... Et puis le troisième album, j'avais tout perdu, j'ai dû tout refaire en urgence avec tout ce que j'écoutais à l'époque, j'écoutais beaucoup de trucs expérimentaux. C'était tellement différent. Je pense que ce qui a évolué c'est la façon dont je produis les choses, qui est plus efficace, c'est peut être mieux, plus abouti. Et après je pense que quand les choses arrivent, il faut les faire correctement et ça, ça change pas du tout, mais il va y avoir plein de choses différentes qui vont arriver, je sais pas, c'est pas vraiment mon style de savoir comment je vais faire les choses, on verra.

Vous avez fait des études d'art, si vous n'aviez pas fait de musique, vous auriez fait quoi?

Après mes études d'art, après mon DEA, j'en avais marre de bosser pour des gens... j'ai bossé dans une asso, ça m'a vraiment soulé, et je me suis mise à mon compte, en free-lance et j'ai appris tous les trucs d'ordi que j'avais pas appris à la fac parce qu'on nous les apprend pas. Donc, je me suis, en autodidacte, totalement instruite sur tout ce qui est infographie, conception de musique etc... Je me suis lancée en freelance et j'ai trouvé des clients et c'est comme ça que je bossais. Et je pense qu'à l'heure d'aujourd'hui je serai toujours vers mon ordi en train de faire des trucs mais j'ai dérapé dans la musique. Je passais plus de temps à faire de la musique sur l'ordi en fait.

Si vous aviez 30 secondes pour nous convaincre que "No Snare" est le meilleur album de l'année?

Je dirais que j'ai pas à vous convaincre parce que c'est pas le meilleur album de l'année. Le meilleur album de l'année ce serait une compilation.

La plus belle rencontre que vous ayez faite grâce à la musique?

Je pense que c'est une personne qui m'a dit de faire de la musique pendant que je commençais à en faire. C'était Feist, et elle était pas du tout connue à l'époque. C'était le premier festival Les Femmes s'en mêlent à Bordeaux, en avril 2004. J'étais dans la rue, je faisais des reprises avec les Bonnies, c'est comme ça que j'ai appris à jouer de la guitare, et on jouait entre les groupes dans le bar à Barbey, et c'était la première fois que je pouvais aller dans les loges, la première fois que je pouvais aller derrière la scène et j'étais vraiment intéressée par comment ça se passait, et y'avait que des nanas en plus, donc je pense que ça m'a vraiment marquée. Et je me suis retrouvée derrière, sur la scène, à regarder les groupes et à rester dans le noir, et à vraiment regarder comment ça se passait... Et puis entre deux groupes, je continuais, j'allais jouer en bas et puis hop je remontais. Et puis à un moment donné y'a quelqu'un qui m'a tapé sur l'épaule, et c'était Feist, son premier album venait juste de sortir et elle m'a dit: « Je crois que t'as un truc, je crois qu'il faudrait vraiment que tu fasses de la musique, il faudrait que t'essaies ». Et elle est montée sur scène juste après, et je l'ai regardée, et elle m'a vraiment bluffée en plus, parce qu'elle a beaucoup d'auto-dérision. Elle est vraiment pleine d'humour, elle est toute petite, elle se fringue comme un sac à pain, elle en a vraiment un caractère qui est vraiment super, une super personnalité et elle m'a dit ça, et je pense que ça m'a vraiment marquée. Un an plus tard j'ai appris qu'elle avait suivi ce que j'avais fait et qu'elle était pas étonnée, et qu'elle était super contente et ça m'a fait super plaisir. J'ai pas eu l'occasion de la recroiser depuis, mais j'espère que ça se fera, ça serait sympa.

Le pire concert que vous ayez donné?

Hum, j'ai souvent eu des problèmes techniques ou des choses comme ça, qui ne me sont pas dûes. Mais j'ai fait les nuits zébrées avec Nova à Nantes, c'était y'a deux semaines. Et c'était vraiment le concert le plus dur que j'ai eu à faire parce que c'était un concert qui était retransmis à la radio. Mais c'était un concert gratuit et ils mettent dans le line-up plein de groupes différents. Donc t'as un public qui vient, qui connait personne, qui connait rien, qui vient parce que c'est gratuit, pour se mettre minable, pour boire des bières, et donc je pense qu'il y avait 80% de beaufs, ou alors pas des beaufs, peut être des gens que bourrés, mais je me suis faite insultée de noms d'oiseaux, j'ai même pas envie de les répéter. Parce qu'ils n'écoutaient même pas, tout le monde parlait pendant que je jouais c'était HORRIBLE. Et c'était la même chose pour les autres groupes aussi. Et c'était juste hyper... décevant.

C'est un manque de respect surtout!

Ouais, mais c'est plus que ça. Je pense que ça dénotait d'un manque culturel, et je me suis rendue que y'avait vraiment plein de choses qui collent plus avec moi. C'était vraiment, vraiment dur.

Quel homme célèbre voudriez vous être?

Olala. (elle réfléchit) Je pense que... y'en a aucun! Je suis tellement heureuse d'être une femme en fait que j'ai du mal à vouloir être un autre, enfin, être un mec. Si je devais vraiment en citer un, ce serait un noir avec... Stevie Wonder ce serait bien. Mais ce serait vraiment par dépit.

Le dernier film/livre/album qui t'a marquée?

Y'a un bouquin dont je me suis pas remise du tout c'est « King Kong » de Virgine Despentes. Et pourtant j'aimais pas ce qu'elle faisait avant. Je l'ai acheté quand même parce que je suis curieuse, et ça m'a vraiment marquée, dans le bon sens du terme. Et y'a plein de choses dans lesquelles j'ai pu me retrouver. Et ensuite, pour le film, j'aime beaucoup « Grey Gardens », c'est un documentaire sur... Je crois que ce sont des cousines de la soeur de la femme de Kennedy. Et c'est un documentaire sur cette nana qui... Euh c'est tellement dur à expliquer! Mais c'est un documentaire extraordinaire.

C'est récent?

Non c'est vieux, c'est des années '70, je crois que c'est 1973. Et c'est assez incroyable, la vie de cette dame et de sa fille, qui vit totalement recluse avec des chats et qui est pourtant la nièce de Jackie Kennedy. Y'a un autre documentaire aussi qui s'appelle « Surfwise ». C'est une famille, ils vivent dans une caravane et ils surfent partout. Les enfants ne vont pas à l'école. Ça représente toutes les alternatives qu'on peut proposer. Et aussi comment on peut vraiment rater l'éducation de ses enfants, comment on peut aussi leur niquer la tête en étant un gros hippy. Mais on voit aussi comment ils s'accomplissent, ils font des choses vraiment différentes. Et donc ça, j'ai beaucoup beaucoup aimé.

Une dernière question, tu préfères avoir des remords ou des regrets?

(silence puis rires) Des regrets!

Un grand merci à Mélanie pour son humour, ses images de femme à barbe et son honnêteté.

Pour conclure, nous ne pouvons que vous conseiller d'acheter "No Snare", le dernier album de Tender Forever, d'assumer votre girl power, et d'aller aux prochaines éditions des Femmes s'en mêlent afin que ce merveilleux festival puisse continuer d'exister.

1 commentaire:

  1. Je me permets d'intervenir parce qu'une atrocité s'est glissée dans cet article. Concernant Clermont Ferrand. D'abord elle m'a dit ELLE MÊME qu'elle ne connaissait pas d'autres villes que Bordeaux, donc jugement limité, si elle avait été auvergnate elle aurait dit le contraire.

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